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Inspiration : la Cathédrale Cardon

Premier article traitant d'inspirations et influences, que ce soit dans le domaine de la photographie (évidemment) que tout autre forme d'art. On débute donc en mode cocorico pour explorer la Cathédrale Cardon, un ouvrage singulier qui m'a permis de découvrir cet auteur et dessinateur français, Jacques Armand Cardon.

Paru en octobre 2020 en co-édition par Le Monte-en-l’air & Super Loto Éditions, cet ouvrage de 160 pages présente quarante ans de travail autour d'une structure répétée où l'auteur y accouche de ses souvenirs, de ses peurs et ses rejets. Le travail de série et de répétition y est formidable de cohérence et les thèmes sont abordés avec force et justesse.

Photographie de la couverture par © Agnès Dahan Studio (d'autres extraits sont disponibles sur la page en lien)


Les premières œuvres apparaissant dans ce livre datent des années 1980, des dessins au style fouillé relatant l’enfance de l’auteur sous l’Occupation, les moments marquants de sa jeunesse et, à l’âge adulte, son écœurement face à la politique et à la religion, dont il s’échappe grâce à l’art. Cette œuvre d’une vie, dont le titre évoque le choc esthétique initial devant Notre-Dame de Paris, constitue une sorte de testament.


I - L'artiste :

La préface du livre est un témoignage rédigé par l'auteur, où il évoque ses souvenirs et son parcours. Cependant, il faut plonger sur internet pour dénicher plus d'informations sur Cardon. Dessinateur et caricaturiste né en 1936 au Havre, il entre en apprentissage comme ouvrier à l’Arsenal de Lorient à l’âge de 15 ans, puis il effectue son service militaire à Toulon où il fréquente l’École des Beaux-Arts. Il y étudie la lithographie puis la gravure et la sculpture. Il retourne un temps à Lorient puis arrive à Paris en 1961 et y rencontre Jean-Jacques Pauvert, qui publie ses premiers dessins dans la revue « Bizarre ».

Cette même année, il fait la connaissance de Cabu, Wolinski, Fred, Topor, Cavanna et Choron, lors des débuts d’« Hara-Kiri ». À « L’Humanité Dimanche », ses dessins n’ont pas grand succès tandis qu’à « Hara-Kiri », le monde ouvrier n’entre en rien dans le projet de dynamitage « bête et méchant » des bonnes mœurs. À partir de 1962, il collabore à « Siné-Massacre », « France-Deux », « L’Humanité », la revue du SNESup (Syndicat national de l’enseignement supérieur). En 1968, il participe à « L’Action », publie des dessins dans « L’Enragé ». Il collabore régulièrement au « Monde ». Bien que ces artistes et publications soient plutôt de la génération de mes parents, ils ont tous marqué la presse française et j'espère qu'ils ne vous sont pas inconnus (d'autant que certains sont encore des institutions de nos jours !).


Il entre au « Canard Enchaîné » en 1974, où il apparaît comme un des dessinateurs les plus originaux. Contrairement à la plupart de ses confrères, Cardon représente le plus souvent ses cibles de trois quart dos, manière de dénier aux hommes politiques leur dignité d’êtres. En cachant leur visage, il permet d’observer celui qui voit la situation, comme un monstre qu’on suggère mais qu’on ne montre pas. De 1970 à 1978, il fait paraître des bandes dessinées dans « Le Fou parle », « Charlie Hebdo », « L’Écho des savanes », et des bandes dessinées politiques dans « Politique-Hebdo » – pour « L’Humanité-Dimanche » jusqu’en 1979.

Il participe à « Tac au Tac », la série TV de Jean Frapat ; il dessine aussi pour un ballet de Paul-André Fortier, à Montréal en 1981, et réalise un dessin animé L’Empreinte (Prix de la première œuvre au Festival d’Annecy, sélection pour le Festival de Cannes, 1975) ; disponible sur Youtube et en lien ci-dessous.

Il cofonde la revue « Le Père Denis », participe à l’anthologie Les Chefs d’œuvre de l’humour noir, dans la collection « Planète » de Sternberg (1967) dans laquelle est éditée la série des Chaises impossibles en 1962. Il crée La Condition humaine dans « Satirix » (1972) et Albin Michel publie Ligne de fuite ; La Véridique Histoire des compteurs à air paraît aux éditions de La Courtille (1973). En 1986, les Éditions du Héron publient le recueil Comment crier et quoi chez qui il publie aussi une monographie en 2002 : Cardon, Dessins, regroupant une sélection de sa production des 30 dernières années. En 2010, les éditions de L’Échappée publient Cardon, Vu de dos – 30 ans de dessins plus que politiques.

En 2015, Cardon, qui a grandi dans la cité de Soye, reçoit la médaille de la ville de Ploemeur, qui lui décerne aussi le titre de citoyen d'honneur ; l'artiste est l'un des présidents d'honneur de l'association Mémoire de Soye.


En 2020 sort Cathédrale Cardon, condensé de toute sa carrière de dessinateur. Deux ans après, sort Ras le bol, compilation de planches faites pour l'Humanité Dimanche et Politique Hebdo de 1970 à 1976. L'album est dans la sélection du Prix du patrimoine au festival 2023 de la BD d'Angoulême.



II - L'œuvre :

L'ouvrage relié de au format de 25 x 32 cm permet d'avoir chaque dessin en pleine page. A préciser que toute l'œuvre de l'auteur (dans son ensemble, pas seulement cet ouvrage) est en noir et blanc. On vagabonde ici en suivant ce "voyageur" (visible dès la couverture du livre), seulement muni de son baluchon. Ce dernier nous mène au travers de cette majestueuse cathédrale labyrinthique, en abordant les thèmes qui ont marqué l'auteur : religion, politique, faits historiques, consommation, "mond'idiotisation" (nom d'une pièce de théâtre congolaise qui, je trouve, colle parfaitement avec notre temps), absurde, humanité, environnement, écologie...

La cohérence, la justesse et la modernité des sujets m'a surpris tant ils sont impactants. Chaque page permet de découvrir un nouveau pan de l'édifice, avec ses beautés et ses immondices. Comme si l'on voulait à la fois conserver et dissimuler des tranches d'histoire, des courants de pensée ou des créations futiles.

Extrait du livre par © Agnès Dahan Studio (d'autres extraits sont disponibles sur la page en lien)


Parmi les illustrations de Cardon, celles présentant des hommes-mutants, enchaînés à leurs vies et aux modes de pensée imposés, vibrent avec nos vies quotidiennes. En parallèle de la chute imagée de l'humanité et du nombrilisme est une vision forte, que certains pourraient qualifier de pessimiste mais qui, pour ma part, me parait clairvoyante.

Avec originalité, l'absurde est également présentée à travers des réalisations humaines : des rochers vissés contre des parois obliques, une plateforme isolée dans une immense façade lisse, des tuyaux s'enchevêtrant dans tous les sens...

On retrouve également une section dédiée à la culture : Charlie Chaplin face aux policiers français ou préparant une boutade à la Mort, Agnès Varda s'en allant avec son univers cinématographique, Don Quichotte sur son cheval, les Pieds Nickelés...


L'importance du travail de série et de cohérence, qui s'étale tout de même sur quarante ans, est un modèle de consécration à son art. Il est un témoignage exemplaire d'un individu qui a perçu son temps et ses tords, tout en nous faisant voyager dans un univers unique.

Pour les plus "gamers", il y a une touche particulière me faisant fortement penser au travail du studio japonais From Software et Miyazaki-san (non pas celui du studio d'animation Ghibli 😉 mais le "papa" des Dark Souls et Elden Ring, entre autre). Essentiellement dans les architectures magistrales et cette sensation de vertige, où le protagoniste ne semble être qu'un grain de sable dans une immensité sans frontière. Pour ceux qui ont joué à ces jeux, je pense notamment à Anor Londo ou bien, plus récemment, Leyndell ou la forteresse de l'Arbre sacré de Miquella (pas réussi à battre ce boss d'ailleurs... 😒).

Concept art d'Anor Londo © FromSoftware Aesthetics


Pour ma part, c'est le premier ouvrage que je découvre de Cardon. Je suis trop jeune pour avoir pu découvrir son travail dans les différents journaux et publications auxquels il a contribué dès le début de sa carrière mais je vais chercher à poursuivre l'exploration de son univers.

J'ai volontairement partagé peu d'images de l'ouvrage afin que vous puissiez garder l'effet de surprise si vous pouvez un jour le consulter. Et, si l'envie est trop grande, les liens ci-dessous vers les éditeurs du livre vous permettront de voir quelques autres extraits 😉


III - Liens et sources :

Page Wikipédia sur l'artiste.

Sites des co-éditeurs (où vous pouvez d'ailleurs commander l'ouvrage) : Le Monte-en-l’air & Super Loto Éditions.


Ouvrages de l'auteur :

  • La Véridique Histoire des compteurs à air, éditions de la Courtille, 1972 ; réédition Les Cahiers dessinés, 2012 ;

  • Ligne de fuite, Albin Michel, 1973 ;

  • L'Apocalypse est pour demain ou les aventures de Robin Cruso, texte de Jean Yanne, Éditions Jean-Claude Simoën, 1977 ;

  • Comment crier et quoi, les Éditions du héron, 1986 ;

  • Les Sursitaires d'Elias Canetti, illustrations, 1995 ;

  • Cardon, dessins, avec Jean Robert, les Éditions du héron, 2002 ;

  • Cardon vu de dos : trente ans de dessins plus que politiques, Éditions l'Echappée, 2010 ;

  • Cathédrale Cardon, Super Loto éditions/Monte-en-l'air, 2020 ;

  • Ras le bol, Super Loto éditions/Les Requins Marteaux, 2022.

Extrait par © Super Loto Editions (d'autres extraits sont disponibles sur la page en lien)

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